Les juridictions peuvent-elles reconnaître l’existence d’une faute inexcusable alors même que l’employeur a mis en place des mesures pour préserver la sécurité de ses salariés ?

 

« Oui », d’après la Cour de cassation.

Dans cette affaire, un médecin urgentiste a été victime d’une agression physique par une patiente dans un hôpital. L’accident a été reconnu comme ayant un caractère professionnel.

Le salarié a saisi la juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur en faisant valoir que l’agression était imprévisible et irrésistible puisque des dispositifs avaient été mis en place au moment des faits pour sécuriser les locaux.

Pour mémoire, le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers ses salariés a le caractère d’une faute inexcusable si :

– (i) l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis les salariés ;

– (ii) qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour les préserver (Cass. 2e civ., 8 octobre 2020, n°18-25.021).

La Cour de cassation a relevé que la recrudescence d’actes violents au sein du service des urgences de l’hôpital avait été évoquée depuis presque une dizaine d’années, liée notamment à l’engorgement des services générant l’insatisfaction des usagers, l’altération des conditions de travail et la dégradation de la qualité des soins.

 

La Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, a retenu la faute inexcusable de l’employeur en considérant que ce dernier ne pouvait pas ignorer le risque encouru par son personnel soignant et que les moyens mis en place n’étaient pas efficaces et suffisants pour préserver les salariés du danger.

Cass., 2ème civ., 29 février 2024, 22-18.868

Le refus par un salarié d’un poste préconisé par le médecin du travail engendrant une modification du contrat de travail peut-il justifier son licenciement ?

« Oui », d’après la Cour de cassation !

 

Dans cette affaire, une salariée a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail, qui a préconisé un reclassement à un poste à mi-temps, sans station debout prolongée ni manutention manuelle de charges.

L’employeur a ainsi transmis une proposition de reclassement de poste à temps partiel, que la salariée a refusé. Son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a, par conséquent, été prononcé, ce qu’a contesté la salariée.

La Cour d’appel a jugé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l’obligation de reclassement. Elle a, en effet, considéré que la proposition de poste à mi-temps entraînait nécessairement une baisse de rémunération pour la salariée, embauchée à temps plein, et constituait une modification du contrat de travail, qui pouvait être légitimement refusée.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel.

Elle a rappelé tout d’abord que l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie :

  • soit de son impossibilité de proposer un emploi de reclassement,
  • soit du refus par le salarié de l’emploi proposé,
  • soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

Elle a conclu que le licenciement de la salariée ne pouvait être dépourvu de cause réelle et sérieuse, puisqu’une proposition de poste conforme aux préconisations du médecin du travail avait été réalisée par l’employeur, peu important la modification du contrat de travail.

Cass. soc.,13 mars 2024, n° 22.18-758

Faire une chute en déneigeant sa voiture peut-il être considéré comme un accident du travail ?

“OUI”, considère la Cour de cassation !

Explications. Un salarié est victime d‘une chute alors qu‘il déneigeait sa voiture afin de se rendre sur son lieu de travail. Le salarié n’avait donc pas encore pris la route et était en avance sur son horaire habituel. Quid de la qualification de cet accident ?

La CPAM a d’abord refusé la prise en charge comme accident de trajet (CSS., art. L.411-2). Le salarié a alors saisi la juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale, qui reconnaît l’accident de trajet.

 

La Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel qui relève que :

 

  • le salarié a déclaré avoir fait une chute, alors qu’il était sorti de son domicile, pour procéder au déneigement et au dégagement de son véhicule garé sur une place située à l’extérieur de sa résidence,
  • l’heure de l’accident est compatible avec les précautions prises par le salarié pour anticiper les difficultés de circulation au regard des intempéries et arriver à l’heure au travail,
  • ses lésions, constatées le même jour et attribuées à sa chute, sont compatibles avec sa description des faits,
  • la victime n’a pas interrompu ou détourné son trajet entre la sortie de son domicile et le lieu de son travail pour un motif dicté par son intérêt personnel et étranger aux nécessités essentielles de la vie courante.

 

Conclusion : La Cour de cassation réaffirme le pouvoir souverain des juges du fond en matière d’appréciation du “trajet“. Pour que la présomption d‘imputabilité s‘applique, l’accident doit survenir dans un temps normal par rapport aux horaires, en tenant compte de la longueur du trajet, de sa difficulté, des moyens de transport utilisés.

 

Cass. 2e civ., 29 févr. 2024, n° 22-14.592

Le non-respect du repos journalier conventionnel cause-t-il nécessairement un préjudice au salarié ?

 

“OUI”, considère la Cour de cassation !

Explications. Un salarié a demandé la résiliation de son contrat de travail en invoquant, entre autres, le non-respect de l’obligation de sécurité incombant à son employeur.

Le salarié considérait que son employeur n’avait pas respecté les 12 heures de repos journalier conventionnelles entre deux services.

 

Si la Cour d’appel a constaté que, à plusieurs reprises, la durée de repos n’a pas été respectée, elle a débouté le salarié de sa demande au titre qu’il ne rapportait aucune preuve d’un préjudice.

De son côté, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en considérant que l’employeur doit s’assurer du respect d’un temps de repos minimal nécessaire à la protection de la santé et de la sécurité de ses salariés.

Plus encore, elle estime que “le seul constat que le salarié n’a pas bénéficié du repos journalier [conventionnel] entre deux services ouvre droit à réparation“.

 

Conclusion : Un salarié qui n’a pas bénéficié de ses heures de repos journalier conventionnelles subi nécessairement un préjudice ouvrant droit à réparation. Le salarié n’a donc pas à démontrer l’existence d’un préjudice !

La Cour de cassation continue ainsi de renouer avec l’existence d’un préjudice automatique dans certains domaines.

Cass. soc., 7 févr. 2024, n° 21-22.809

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Partir en vacances sans l’accord de son employeur peut-il faire l’objet d’un licenciement ?

“OUI”, admet la Cour de cassation !

Explications. Un salarié a été licencié pour faute grave après que son employeur lui ait reproché d’avoir été absent pendant tout le mois d’août sans l’avoir prévenu.

Le salarié saisit le Conseil de prud’hommes pour contester son licenciement et fait valoir qu’il avait eu un accord verbal de son employeur avant son départ en congés et que, de surcroit, ce dernier n’avait pas respecté les délais d’information et de communication sur les prises de congés au sein de l’entreprise.

 

La Cour d’appel, saisie par le salarié, confirme la position du Conseil de prud’hommes reconnaissant la cause réelle et sérieuse du licenciement mais infirme le jugement caractérisant la faute grave. Le salarié forme un pourvoi.

La Cour de cassation confirme l’arrêt de la Cour d’appel en ce que :

  • le salarié ne peut prendre des congés sans l’accord de l’employeur et sans pose préalable même en cas de non respect de la part de ce dernier des délais relatifs aux congés ;

  • l’absence ne constitue pas une faute grave : au mois d’août elle ne rendait pas impossible la poursuite du contrat de travail. Le salarié aurait très bien pu avoir l’autorisation de prendre ses congés à cette même période et être absent.

 

Conclusion : un salarié peut faire l’objet d’un licenciement en raison d’une absence non justifiée par la prise de congés payés, et ce, même en l’absence d’une faute grave.

 

Cass. soc., 13 déc. 2023, n° 22-17.890

Des enregistrements obtenus à l’insu d’un salarié peuvent-ils être recevables devant le juge civil ?

 

Oui, selon la Cour de cassation et c’est une première !

En l’espèce, un salarié a été licencié pour faute grave après avoir expressément refusé de fournir à son employeur le suivi de son activité commerciale.

L’employeur a saisi le Conseil des prud’hommes de demandes de dommages et intérêts pour non-exécution du préavis et en réparation d’un préjudice commercial. De son côté, le salarié a contesté son licenciement.

Afin de justifier le bien-fondé du licenciement, l’employeur a fourni aux débats des enregistrements obtenus sans autorisation d’un entretien avec le salarié, au cours duquel ce dernier tenait des propos ayant conduit à sa mise à pied.

Après un jugement rendu en premier instance, la Cour d’appel a déclaré irrecevables les éléments de preuve apportés par la société en raison de leur obtention par procédé déloyal.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel en rappelant la jurisprudence de la CEDH et a admis que les preuves déloyales ne sont pas nécessairement écartées des débats.

En effet, la Cour de cassation considère que des moyens de preuve déloyaux peuvent être présentés aux juges dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable. Il leur revient néanmoins de vérifier que ces preuves ne portent une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse (vie privée, etc.).

Cass. Ass plén., 22 décembre 2023, n°20-20.648

Une conversation privée sur Facebook peut-elle justifier un licenciement disciplinaire lorsque cette dernière a été consultée par l’employeur sans aucun procédé déloyal ?

Non, indique la Cour de cassation.

En l’espèce, un salarié intérimaire intervenait en remplacement d’un salarié en congé et avait pris connaissance d’un message Facebook laissé ouvert par ce dernier sur son ordinateur professionnel. La conversation sous-entendait que la promotion de l’intérimaire était due à l’orientation sexuelle de son supérieur hiérarchique.

L’intérimaire a transmis la conversation à l’employeur qui a licencié le salarié en congé pour faute grave, en raison des propos insultants tenus à l’encontre de son supérieur hiérarchique et de son remplaçant.

Pour justifier le licenciement, l’employeur avait soumis aux débats la conversation du salarié.

La Cour d’appel a retenu le caractère déloyal et illicite de l’obtention de la preuve « peu import(ant) que l’employeur n’ait pas personnellement cherché à prendre connaissance de cette conversation ou n’ait pas consulté directement le compte litigieux » et a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société a alors formé un pourvoi en cassation, arguant que la preuve obtenue sans l’utilisation d’un stratagème ne pouvait être déloyale et que le droit à la preuve pouvait justifier une atteinte à la vie privée du salarié.

La Cour de cassation rejette le pourvoi mais sans approuver le raisonnement des juges du fond : elle rappelle qu’en principe, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire.

Une conversation privée qui n’était pas destinée à être rendue publique ne pouvant constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, il en résulte que le licenciement, prononcé pour un motif disciplinaire, est insusceptible d’être justifié.

Cass. Ass. Plén. 22 décembre 2023, n°21-11.330

En l’absence de mention des délais et des voies de recours contre une décision administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable d’un an.

 

Ce principe consacré par le Conseil d’Etat à travers la jurisprudence Czabaj du 13 juillet 2016 a été étendu à d’autres champs notamment en matière d’autorisations d’urbanisme (CE, 9 novembre 2018, n° 409872) et de validité d’un contrat administratif (CE, 19 juillet 2023, n°465308).

 

Dans une décision récente, le juge de la Cour Administrative d’Appel de Toulouse a jugé que : « Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce qu’une autorisation environnementale puisse être contestée indéfiniment par les tiers. Dans le cas où l’accomplissement des mesures de publicité imposées par les dispositions législatives ou règlementaires en vigueur, par ailleurs suffisant pour avoir permis aux tiers d’apprécier l’importance et la consistance de l’opération projetée, n’a pas fait courir le délai de recours normalement applicable faute de mentionner une information qui n’était pas nécessaire à cette appréciation, le recours contentieux contre une telle autorisation doit néanmoins, pour être recevable, être présenté dans un délai raisonnable suivant la réalisation de la plus tardive des mesures de publicité. En règle générale et sauf circonstance particulière, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable ».

 

CAA Toulouse, 21 décembre 2023, n° 21TL03190, 21TL03191